Français au Maroc

Français à l’étranger au quotidien : l’enseignement français à l’étranger

Français à l’étranger au quotidien : l'enseignement français à l’étranger

Avec Samantha Cazebonne, députée de la 5e circonscription des Français établis hors de France, et  Olivier Brochet, directeur de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE).

Français à l’étranger : Comment se porte l’enseignement français à l’étranger ?

Samantha Cazebonne : Mieux que ce que nous pouvions attendre en cette période de crise. Il continue à se développer en gardant les qualités de notre modèle éducatif. Je vous dis cela grâce à des retours de parents d’élèves, d’élèves et étant mère moi-même. L’enseignement français à l’étranger se porte bien.

FAE : Olivier Brochet, comment les établissements que vous dirigez ont-ils traversé cette année de crise et quel est le soutien que vous recevez de l’État ?

Olivier Brochet : Cette année a été une épreuve pour les 540 établissements du réseau de l’AEFE. Ils ont néanmoins réussi à surmonter cette épreuve. Il y a eu un travail extraordinaire sur le terrain mené par les équipes avec le soutien de l’agence pour aider les lycées à ne pas fermer malgré la crise. Au printemps dernier, au paroxysme de la crise, l’ensemble des établissements avaient été contraints de fermer. Aujourd’hui, 45% d’entre eux peuvent être ouverts. Il y a eu une amélioration à l’automne dernier mais nous sommes à nouveau dans les fermetures. Cependant, tous les établissements réussissent à offrir l’enseignement attendu par les familles avec une qualité pédagogique croissante et qui nous donne des atouts pour l’avenir. Dans la concurrence internationale dans le domaine de l’enseignement, le réseau de l’enseignement français à l’étranger va sortir avec une image renforcée.

L’an dernier, nous avons eu une aide budgétaire supplémentaire considérable de 100 millions d’euros de crédits budgétaires ainsi que des accès à des avances de trésorerie qui ont permis de soutenir tous les établissements et les familles en difficulté qu’elles soient françaises ou non. Il n’y a eu aucune fermeture d’établissement. Le réseau a résisté et nous avons même eu un accroissement des établissements homologués. Nous avons essayé de garder l’ensemble des familles en fonction des difficultés qu’elles rencontraient.

FAE : Samantha Cazebonne, l’un des phénomènes que l’on observe dans ce domaine de l’enseignement français à l’étranger est l’arrivée de nouveaux acteurs du monde privé qui bouleversent la donne. Pouvez-vous nous donner une image de ce paysage ?

S.C. : Oui. J’aimerais d’abord rebondir sur l’aide exceptionnelle de l’État. Il faut savoir que nous avons maintenant une manière d’appréhender le réseau légèrement différente d’auparavant. Nous n’avons pas concentré nos aides uniquement sur les familles françaises mais sur l’ensemble des familles et établissements. C’est fondamental. Lorsque l’on est parent à l’étranger, nous ne regardons pas si nous sommes dans un établissement de l’AEFE donc de l’opérateur public ou un autre opérateur. Savoir que la France est aujourd’hui aux côtés de n’importe quel établissement homologué est donc rassurant pour les familles. C’est fondamental pour l’image de notre pays et pour les parents de savoir que, en cas de difficultés, l’État français est à nos côtés où que nous soyons dans un établissement homologué.

Il est clair que le développement des établissements du privé peut être une crainte pour certains qui ont été habitués à avoir des modes de fonctionnement subventionnés par l’État. Je viens, de par ma carrière et parce que mes enfants y sont scolarisés, d’un système associatif qui est également un opérateur et qui, en grande partie, s’est autofinancé ce qui rassure les parents sur la viabilité de l’établissement même privé. Il y a des règles d’établissement homologuées donc reconnues par l’Éducation nationale. Cela garantit la qualité pédagogique à des coûts similaires de ceux de l’opérateur public qui a des contingences qui l’amènent à devoir être subventionné comme la pension civile des personnels et le parc immobilier. Les opérateurs privés ont donc la possibilité d’amener une éducation française aux familles en fonction des attentes locales. C’est aussi grâce à nos familles étrangères que ces établissements peuvent vivre à des coûts raisonnables et qui les font entrer dans la famille des établissements homologués sans qu’il y ait à craindre, qu’un jour, ces coûts deviennent trop importants. En effet, de toutes les façons, la concurrence veille notamment les modèles anglo-saxons, chinois ou turcs. Nous devons continuer à garder notre influence par cette éducation. Le Président de la République le disait : “Nous sommes une puissance éducative mais aussi à l’étranger”.

FAE : Comment luttez-vous contre cette concurrence Olivier Brochet ?

O.B. : L’objectif est de convaincre les familles. Traditionnellement, celles qui connaissent l’enseignement français à l’étranger y restent. C’est un enseignement d’excellence qui garantit à leurs enfants d’avoir le meilleur de l’éducation pour accéder ensuite au meilleur de l’éducation supérieure en France et à l’international. Notre enjeu actuel est de toucher des familles qui ne nous connaissent pas. Un travail a été engagé dans le cadre du plan de développement que le Président nous a demandé de mettre en place dont on parlera. La clé est de montrer que l’enseignement français à l’étranger apporte une réponse à des besoins que les familles n’identifient peut-être pas encore bien en termes de qualité, de plurilinguisme et d’ouverture de leurs enfants sur des dimensions culturelles. Un élément très important qui fait que beaucoup de familles choisissent cet enseignement est la formation à l’esprit critique. Dans mes déplacements, je suis frappé dans mes rencontres avec les parents car c’est un élément qui sort dans les premiers niveaux et a fortiori dans des pays où la liberté de pensée ou d’expression est plus difficile.

FAE : Nous avons interrogé l’un de ces nouveaux acteurs sur le secteur de l’enseignement français à l’étranger : Mission laïque. Michel Bur, adjoint au directeur général, nous éclaire :

Michel Bur : La Mission laïque française (MLF) est une association à but non lucratif créée en 1902 et reconnue d’utilité publique en 1907. Il s’agit de 110 établissements dans une quarantaine de pays aujourd’hui avec 61 000 élèves scolarisés sur le programme français. La MLF peut être sollicitée pour créer ou ouvrir des écoles là où l’État n’irait peut-être pas spontanément. C’est le cas par exemple sur le territoire palestinien à Ramallah où nous sommes, dans une action bilatérale, nommés pour accompagner le développement d’un lycée français. Nous sommes donc acteur engagé aux côtés de l’AEFE. Nous avons deux conventions : une avec le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères et une avec le Ministère de l’Éducation nationale. Nous sommes également engagés au niveau de la formation, élément qui nous distingue des autres opérateurs. Nous sommes responsables pédagogiques, administratifs, juridiques et financiers de nos établissements mais nous tenons aussi à ce que le levier du développement professionnel soit le nôtre. Cela permet de renforcer l’identité de la culture d’établissement propre à un réseau associatif avec un management horizontal. La devise de la MLF est “Deux cultures, trois langues”. Nous accordons donc une forte attention à un enseignement plurilingue et laïc. Cet enseignement passe par la langue française mais aussi par un apprentissage renforcé de la langue nationale. Il ne peut pas y avoir d’apprentissage réussi s’il n’y a pas d’abord une maîtrise de la langue nationale. En complément avec l’anglais, nous dispensons donc des apprentissages dans trois langues différentes. Cela fait la preuve que l’enseignement français est aujourd’hui un enseignement à renommée et à portée internationales. Pour la Mission laïque, nous scolarisons plutôt des élèves nationaux ce qui nous distingue de l’opérateur public.

Par ailleurs, cela fait plus de 50 ans que nous sommes au service des grandes entreprises françaises à l’étranger avec les écoles d’entreprise. Nous accompagnons les enfants de leur personnel notamment dans les projets de chantiers souvent de façon éphémère.

FAE : Samantha Cazebonne, on voit plusieurs acteurs sur ce domaine de l’enseignement français à l’étranger ainsi que plusieurs ministères. Est-ce une force ou une faiblesse ?

S.C. : C’est une force car, avoir deux ministères qui nous accompagnent, nous permet de mieux garantir une assistance entre autres par le Ministère de l’Éducation nationale qui met ses professeurs titulaires à disposition du réseau, qui homologue et accompagne les établissements. Il faut être fier de la façon dont ce réseau s’est emparé de la gestion de crise mais c’est aussi important de rappeler que ce que les parents attendent du modèle est qu’il soit toujours performant. Il n’y a donc pas trop de deux ministères pour mener à bien ce chantier de la qualité pour le garantir sur du long terme.

FAE : Olivier Brochet, vous évoquiez l’objectif du Président de la République de doubler les effectifs d’ici 2030. Êtes-vous sur le bon chemin ?

O.B. : On l’espère mais évidemment la crise nous oblige à revoir le rythme. Ce qui compte est que cet objectif nous a amené à repenser beaucoup de choses pour nous mettre en état d’accompagner le réseau dans ce développement. L’exemple type est qu’il n’y aura pas de développement de ce réseau si nous n’avons pas de ressources humaines complémentaires de grande qualité. Le grand effort que nous avons lancé dès l’année dernière est le renforcement de la formation des enseignants titulaires et ceux recrutés localement français ou non afin de les mettre au meilleur niveau de l’excellence pédagogique. Nous y travaillons et le rythme est ralenti mais pas cassé.

FAE : Samantha Cazebonne, pourquoi ce doublement des effectifs d’ici 2030 est-il important ?

S.C. : Nous avons plusieurs modèles qui prospèrent dans le monde comme je vous l’expliquais. Il n’y a pas de raison, qu’avec la démographie qui augmente, la France n’ait pas sa place. Nous sommes un vrai réseau qui répond à beaucoup de nos expatriés à l’étranger. Nous devons le maintenir. C’est un réseau d’influence, du “soft power”. Il n’y a rien de tel que de renvoyer l’image de la France à travers son éducation la plus positive possible. C’est pour cela que nous travaillons à ce développement et que nous cherchons à le faire prospérer dans la qualité de l’Éducation nationale française qui est très bien reconnue à l’étranger.